« Et voilà qu’à mon tour, je sacrifie à la mode de l’egocentrisme. Je ne vaux pas mieux que mes congénères, pire, je suis peut-être pire qu’eux puisque j’entreprends d’écrire sur moi, sur Max, enfin sur nous, sur notre désarroi. Je ne me pose pas la question de savoir si l’épreuve que nous traversons mérite d’intéresser quiconque. Écrire m’apparaît comme le seul moyen de résister, résister à ma manière, non pas à l’invasion des Allemands, mais à la maladie de l’homme que j’aime, un homme qui n’est plus celui que j’ai aimé. Moi non plus, je ne suis plus celle qu’il a aimée. J’ai pris conscience, il y a bien longtemps, qu’il existait plusieurs versions de soi-même. »
Le rapport à la maladie de Parkinson, la vie de couple perturbée dans une relation d’amour qui n’endigue pas l’épuisement, générant parfois la colère, sont évoqués dans une totale sincérité et laissent place à l’interrogation sur la nature humaine.
Dès les premières pages de son récit de vie avec Max, Marielle soulève la question de la dualité de l’être – « il existe plusieurs versions de soi-même » qui peuvent être « concomitantes » – dans « une multiplicité de temps individuels, superposés mais discordants ». Tout est rassemblé en quelques phrases. Mais au fond cette problématique n’est elle pas beaucoup plus large?
La maladie exacerbe à l’évidence ce difficile rapport à l’Autre. Elle ne saurait résumer les contradictions de l’existence. Marielle évoque sa vie compliquée avec ses trois enfants issus de trois pères, constat d’une vraie difficulté dans la vie de couple. Avec cette situation rocambolesque des retrouvailles des époux Gallo dans la garçonnière de Max pour s’adonner aux jeux de l’amour, loin des risques de promiscuité avec leurs enfants respectifs qui pourraient faire irruption dans la chambre d’amour quand Julien, le fils de Max déjà trentenaire au moment de l’écriture du roman, avait fait élection de domicile chez son père, Max refusant la recomposition parentale sous un même toit.
Ses moments de tendres complicités, Marielle en parle avec pudeur et drôlerie évoquant quand même ses tenues affriolantes et ses talons aiguilles avec sa garde robe, précieusement rangés dans leur nid d’amour.
Autre curiosité chez les Gallo, cette recherche effrénée d’une maison ou d’un appartement dans un lieu rêvé avec ces emballements de Max dans un achat précipité suivi de revente sans délai raisonnable. On retrouve un Max Gallo capricieux au-delà de ce seul rapport paroxystique au domicile. Lui, le chantre du dépassement héroïque dans ses biographies vantant les prodiges de ses personnages historiques, retombe dans la normalité d’un être de passions pour le meilleur et pour le pire, avec ses manies aussi fortes que son génie! Voilà quelques traits d’un Gallo dans la force de l’âge d’avant sa maladie qui resituent le romancier populaire dans sa dimension d’homme avec ses passions, ses émotions, ses grandeurs et ses faiblesses, comme tout un chacun mais dans des manifestations assez singulières!.
Le premier symptôme de Parkinson apparaît curieusement lors de son discours d’investiture à l’académie française, début 2008, quand il prend le siège de son défunt ami Jean-François Revel. Max ne cesse de trembler de sa main droite, ce qui peut être mis, ce jour là, sur le compte de l’émotion. Mais le tremblement se renouvelle et Max consulte. La révélation de la maladie est d’abord bien surmontée. Mais, passée « la lune de miel » avec cette « Miss P », de son nom de baptême par l’académicien François Nourrissier qui fut lui-même atteint de la maladie de Parkinson, l’état de Max se dégrade fortement. Stimulé par Marielle, notre homme recherche avec beaucoup d’acharnement le meilleur thérapeute. La conciliation médicamenteuse reste difficile à trouver et Marielle ne sait toujours pas si les hallucinations et pertes soudaines de la mémoire sont le fruit de la maladie ou la cause d’un traitement inadapté. Nos rentrons alors de plein fouet dans les vicissitudes d’une terrible maladie…
Xavier DUMOULIN, le 1° août 2017
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Dans cette épreuve, le récit poignant de Marielle illustre l’immense détresse qui frappe le couple. Peur d’être abandonné dans ses angoisses soudaines et répétées, le plus souvent nocturnes, Max perd tout sens des réalités dans ces moments d’affolements. Il appelle au secours femme ou fils à tout instant, allant jusqu’à épuiser son entourage dans ses manifestations délirantes. Et progressivement, ces symptômes qui apparaissaient comme une exceptionnelle manifestation critique de la maladie, prennent le pas sur la vie normale de cet écrivain « prolixe » comme le qualifie peut être à contre sens, son épouse dans la dernière page de couverture de présentation du livre. Ce roman met enfin à son tour en scène l’auteur de plus de cent cinquante ouvrages dont une bonne part relève du genre biographique. Avec un accueil toujours chaleureux d’un lectorat très large des œuvres de cet écrivain prolifique.
Une digression de ma part pour souligner la critique parfois dure de ses pairs quand je songe à l’historienne regrettée, Madeleine Rebérioux, qui confiait sans aucune volonté polémique le faible apport de Gallo dans sa biographie du « grand Jaurès » ou bien, ce souvenir d’un ton très polémique, du fait de Max essentiellement, vis à vis de son concurrent, le célèbre Jean Lacouture, au sujet de leur biographie respective de Charles De Gaulle. Ce soir là, je fus particulièrement étonné du ton très cru de mon maître à penser qui empruntait alors une façon d’être rugueuse et presque violente dans ce débat télévisuel…
Mais nous sortons du personnage racontée par Marielle. Laquelle lisait régulièrement à son époux d’écrivain les nouvelles pages de son roman. Avec un discernement certain et, peut être une arrière-pensée malicieuse, Max se reconnaissait dans les considérations positives sur son œuvre, la rencontre et les engagements des amants et sur tout ce qui constitue la trame de leur existence d’avant la maladie. A l’évocation de celle-ci et, surtout, de ses manifestations chez Max, ce dernier veut comprendre qu’il s’agit d’un vieillard placé là inopinément, sans relation aucune avec lui.
Car c’est bien dans le déni de cette Miss P. – ou, plus exactement, comme le précise Marielle, dans le déni des conséquences de la maladie – que Max semble vouloir se protéger jusqu’à un stade avancé de son évolution. Il confira enfin la vérité sur son état avec beaucoup de dignité et d’authenticité, dans une de ses dernières interviews données dans son appartement de la place du Panthéon. Au journaliste respectueux et discret dans son questionnement, il précisera même qu’à la différence de l’académicien François Nourissier, il ne nourrissait aucune envie d’écrire à son tour au sujet de Miss P. .Ce refus d’un enfermement dans la maladie lui permettra de continuer une vie publique, certes limitée, au travers de sa participation à l’émission dominicale « l’Esprit public » sur France Culture jusqu’au début de l’année 2015. Après son dernier ouvrage à succès « Dieu le veut », chronique sur la violence de la première croisade, il publiera même un récit de la révolution russe « 1917 – une passion russe » pour le centenaire de cet évènement majeur du XX° siècle.
C’est dire combien notre personnage fait face à l’adversité jusqu’au bout, en dépit de toutes ces manifestations hostiles d’une maladie qui le ronge jusqu’à l’empêcher de se mouvoir ou bien mettant à mal sa mémoire et sa conscience de la réalité. Sans doute grâce au soutien constant de sa femme qui partage, comme elle le confie, ses peines et ses joies, malgré des moments de colères et d’épuisement quand elle ne trouve plus le sommeil dans ses nuits perturbées par les appels téléphoniques incessants d’un Max Gallo se croyant perdu dans un hôtel de l’autre bout de la France pour y donner une conférence quand il vient de se réveiller en milieu de nuit dans son appartement parisien. C’est à quelques deux cents mètres de là que réside Marielle, dans une volonté commune et antérieure du couple de rester chacun avec sa progéniture respective par souci de cohésion dans le rapport de Max à Julien, son fils unique qu’il chérit tant.
Marielle évoque à plusieurs reprises cette dépression qui frappa Max avec le suicide de sa fille Mathilde en 1972. Cet évènement, on le comprend, bouleverse un père saisi de culpabilité quant à son manque d’attention vis à vis de sa fille en détresse. Lui-même semble souffrir d’être délaissé par sa femme qui le « trompe » au moment de sa rencontre avec Marielle quelques vingt ans plus tard. Cette liaison naissante s’établit sur fond de politique.
Marielle est engagée dans le courant crée par Jean-Pierre Chevènement, fondateur du CERES et ministre sous les gouvernements Mauroy, Fabius et Rocard. C’est une époque de grande turbulence avec ce premier combat qui fera date à l’occasion de la campagne autour de la ratification par référendum du traité de Maastricht contre lequel nous nous opposons de toutes nos forces, épousant en cela les fortes préoccupations populaires de nos concitoyens menacés par une perte de souveraineté dont on mesure à présent les effets délétères! Marielle est active dans cette mouvance de la chevènementie. Et c’est à l’occasion d’un « congrès » du Mouvement des citoyens ( Saint Egrève début décembre 1993 ) issu du courant de Jean-Pierre Chevènement – l’auteur parle à tort du CERES qui s’était pourtant transformé dès 1986 en Socialisme et République – que Max approche cette avocate, auteur de L’Hibiscus (1974) et du Faiseur d’amour (1986), donc écrivain et militante. Sans doute est-il séduit par la forte personnalité de cette femme rayonnante qui ne passait pas inaperçue dans ces assemblées citoyennes. Nous allons ainsi assister au travers de cet épisode à « l’enlèvement » de Marielle par un Max Gallo conquérant et macho qui fait dégager la voiture où s’installait la militante avec ses camarades, pour ne garder plus qu’elle à ses côtés, appelant un chauffeur pour assurer leur transport, plantant ainsi tous les autres dans un tourbillon vertigineux de démonstration de force sentimentale, si l’on peut dire! Mais où va donc les mener ce co-voiturage impromptu?
Xavier DUMOULIN, le 2 août 2017
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Cet enlèvement qui n’était pas celui de l’Europe, dénoncé jadis par le CERES dans une brochure prémonitoire, anticipait en fait le déjeuner du 9 décembre de la même année. Les deux « amants », qui ne l’étaient pas encore vraiment, s’étaient mis d’accord à distance pour une rencontre amicale autour d’un déjeuner la semaine qui suivrait le congrès, peut être pour parler du ‘Faiseur d’amour » que Marielle avait naïvement adressé à Max dans l’espoir d’une critique littéraire… C’est dire combien leurs échanges à distance favorisaient une certaine proximité et un état d’esprit curieux de l’Autre dans la fascination respective de leur parcours et personnalité. La romancière ne donne pas dans l’exhibition de sa vie privée et, c’est de bon goût qu’elle ne livre pas l’épisode de leur basculement amoureux. On sait cependant que lors du fameux enlèvement ce dut être leur premier contact physique dans la voiture, Max abordant sa captive ainsi : « Alors, vous êtes avocate? ». Cela commençait mal pour Marielle se refusant à féminiser les métiers et lui rétorquant en retour qu’elle était effectivement avocat! Cet écrivain révèle par ailleurs, dans le fil de leur vie commune, le machisme de son mari dans son « italité », entendez par là : culture italienne. Il n’y a pas que la « bravitude » qui s’improvise!
Ce qui nous ramène aux origines familiales d’un Max très attaché à ses mère et grands-parents, lui dont le père aux fonctions subalternes dans un établissement financier, devait faire face avec dignité au poids de la hiérarchie sociale. Cette question de la surdétermination sociale constituait un fréquent sujet de discussion, Marielle jouissant d’origine bourgeoise et voulant gommer cette pesanteur sociologique et le destin social des individus. Ce qu’accomplit Max néanmoins en s’arrachant de son milieu sans jamais le trahir dans l’épanouissement de ses talents intellectuels quand il était d’abord destiné au métier de mécanicien.
Max devait pendant longtemps exprimer dans son œuvre cette filiation intellectuelle avec le milieu ouvrier, dans un engagement sincère et entier à gauche. Communiste dans sa jeunesse, Max évolue vers le socialisme jaurésien sans renier les apports féconds des révolutionnaires aux marges de la gauche dans une histoire riche de révoltes et de révolutions manquées. La déviation stalinienne ou simplement bureaucratique du socialisme réel conduisit naturellement notre intellectuel en politique à cette conversion. On garde en mémoire ses éditoriaux plein de fougue et de hauteur de vue dans un langage pédagogique au service de l’Union de la gauche en marche vers le pouvoir. Ce porte-parole du gouvernement Mauroy évolua vite vers la pensée du CERES dont il ne fut jamais le leader à la différence des fondateurs historiques aux cotés de Chevènement tels que Didier Motchane, Georges Sarre, Michel Charzat ou ce grand orateur, élu de Narbonne si j’ai bonne mémoire, aux accents de méridional, Pierre Guidoni. Lequel épousa une belle carrière diplomatique et politique qu’il acheva comme ambassadeur en Argentine dès 1991 et devait par le plus grand des hasards succomber lorsque Chevènement ( qu’il ne suivit pas dans sa rupture avec le PS à partir de la guerre du Golfe ) était ministre de l’Intérieur en 2000 (dans le gouvernement de la gauche plurielle de Jospin) quand il avait écrit dans le ton grandiloquent et plein de morgue de la gauche socialiste des années soixante-dix dans sa préface à sa remarquable « Histoire du nouveau parti socialiste » publiée en 1973 : « Sommes-nous des révolutionnaires? Vingt quatre heures avant notre mort, seul le ministre de l’Intérieur serait capable de le dire! » (citation empruntée par Guidoni à Didier Motchane pour l’anecdote et sans lien aucun avec notre Bella Ciao!). Gallo, pour sa part, œuvra pour la refondation de la gauche dès 1991 dans le mouvement Refondation regroupant des communistes, des socialistes et des citoyens sans appartenance partisane, avant de prendre le leadership de la mouvance citoyenne à partir de la fondation du MDC en deux temps, à la Mutualité les 1° et 2 mai 1993, à Saite-Egrève début novembre de la même année. Il fonda, dans la foulée de la belle campagne présidentielle de 2001, le pôle républicain avec une base d’appui, le Mouvement républicain et citoyen, ex-MDC. Du CERES au MRC, en passant par Socialisme et république, c’est tout une trajectoire républicaine que traduit ce déplacement sémantique.
Mais puisque nous versons dans la politique, faite de virages et de retournements, sinon de volte-face, continuons ces commentaires dans cette dimension avec cette inflexion très forte du positionnement du couple Gallo dans les années Sarkosy…
Xavier Dumoulin, le 3 août 2017
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Ce couple évolue à l’unisson dans une volonté de relever la France et la République plutôt que la gauche et la République. Celle-ci reste au cœur du projet « Galloisien » avec cette idée même d’un pôle républicain ralliant les républicains des deux rives sous la tutelle d’un Chevènement. En 2001, dans la foulée des présidentielles quand plus de cinq pour cent des électeurs se sont portés sur son nom, JPC se vit frappé de fatwa par un parti socialiste défait et rancunier qui n’a de cesse de vouloir culpabiliser ceux là même que la politique du Premier Ministre, Lionel Jospin, a conduit à ce rejet fort des Français du fait des privatisations et de l’acceptation d’une partition de la République, avec le dossier Corse, notamment. La réforme préconisée mais avortée, qui ne trouva pas l’assentiment populaire lors du référendum de 2004 en Corse, ne menaçait-elle pas les fondamentaux républicains en confiant un nouveau statut et des compétences nouvelles à cette collectivité en concession aux attentes pressantes des indépendantistes insulaires?
C’est donc dans ce contexte difficile à gauche que les Gallo, trouvent de nouvelles raison d’agir autour d’une certaine idée de la France et de la république. Nous ne savons néanmoins pas grand chose des débats qui purent animer le couple. Nous connaissons les parutions et les romans historiques de Max durant cette période d’un basculement politique, la voix de Max Gallo, souverainiste décomplexé, se faisant aussi entendre sur les ondes dominicales de France-Culture. Dans le même temps, Jean-Pierre Chevènement restait ferme dans son refus d’allégeance au Parti socialiste, quand il devait en 2005 reprendre le combat contre le projet de ratification dudit projet de traité constitutionnel européen écrit par VGE en charge de cette haute mission par les gouvernements de l’Union européenne. On connaît la suite avec ce rejet populaire massif dans un Non sans appel du peuple de France!
Jean-Pierre Chevènement est l’ami des Gallo, comme il est celui des Debray, les deux couples étant par ailleurs liés. Dans ces têtes bien faites ne trouve-t-on pas la même quête identitaire d’une République en capacité de transcender les faux clivages et les politiques de chimères ou de renoncements? Un puissant mouvement de refus du politiquement correct correspond dans cette période à ce constat de délitement de la chose publique et de la faillite des élites économiques, intellectuelles et politiques. La politique fond derrière l’argument des bienpensants qui voudraient ignorer la Nation et le peuple. Songeons aux théorie charriées par le philosophe Habermas autour du dépassement du cadre national avec cette fausse bonne idée d’un peuple européen dont on sous-estime les conditions concrètes, objectives et subjectives de sa promotion effective. Laquelle peut être recherchée dans le temps – ce serait alors une affaire de quelques décennies – mais dans une tout autre perspective que celle de « l’Europe austéritaire » de la concurrence libre et non faussée!
Si nous insistons sur cet aspect de la réalité contemporaine du rapport à la politique des époux Gallo, c’est sans doute pour comprendre ce cheminement qui n’est qu’à peine évoqué dans le roman de Marielle. Et lorsque cette femme accepte en 2009 de figurer sur la liste de la majorité présidentielle aux élections du Parement européen, c’est après cette longue maturation et cette séparation d’avec une gauche qui s’est elle même trahie. En 2007, nous ne savons pas grand chose de la posture des Gallo vis à vis du début de campagne de JPC avant qu’un accord MRC-PS – autour notamment d’une totale inflexion de Ségolène Royale sur la question de l’Europe – n’autorisa alors d’accepter la main tendue de la candidate socialiste. On connaît la suite avec cette victoire de Nicolas Sarkosy et la ratification du TCE relooké en dépit du précédent rejet par les Français avec la complicité d’une gauche et d’une droite parlementaire réunis en Congrès…
Ce temps de lente agonie de la gauche favorise tous les basculements dont celle des Gallo. Max est nommé à l’académie française, couronnement d’une grande œuvre littéraire, en 2007 pour remplacer l’académicien décédé et ami de toujours de Max, Jean-François Revel. Il prononce le discours d’investiture en tenue et avec le fameux sabre choisi avec soin par le récipiendaire et son émotion dut être importante en janvier 2008. d’où, nous l’évoquions, ce premier tremblement de la main droite à l’occasion du prononcé de son discours, mis sur le compte de cette épreuve quand il n’était que le symptôme de la maladie naissante…
Mais peu importe la chose dans ces développements qui veulent saisir la posture nouvelle des Gallo dans cette expression intellectuelle et morale. Sans doute berné quelque peu par l’ambiguïté du discours sarkosien inspiré alors par le néo-gaulliste Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, les époux veulent croire à tout prix aux perspectives de redressement de la France. On peut s’étonner de cette naïveté soudaine qui va même conduire Marielle à accepter cette position éligible sur cette liste de droite quand elle appartenait à la gauche moderne, ce « petit mouvement de centre-gauche » fondé par un ancien du CERES en dissidence depuis la guerre du Golfe. Elue au parlement européen, elle remplira son mandat avec application sur ses sujets de prédilection, affrontant même la critique de ses positions et propositions jugées réactionnaires dans leur défense des droits d’auteur et contre le piratage du fait du contrôle social supposé accompagner cette protection.
A quel moment précis s’opère cette différenciation d’avec le MRC? Quand et comment se fit le basculement politique? Ces quelques clés de compréhension permettent de suivre une trajectoire qui, loin d’un opportunisme plat, traduit surtout la volonté de franchir un pallier pour porter une certaine idée de la France. Notons que Jean-Pierre Chevènement, lui même, devait se brouiller définitivement avec son mouvement en juin 2015, après des batailles internes à l’occasion des discussions autour de la stratégie à conduire pour les élections européennes. Mais nous sommes là trop loin de Marielle qui a depuis des lunes rompu avec le mouvement en rejoignant le petit mouvement de la gauche moderne fondé en 2007 par Jean-Marie Bockel. Ce député-maire de Mulhouse est l’ancien porte-parole de Jean-Pierre Chevènement au sein du courant « Socialisme et République » qui, en 1991, fait partie des partisans les plus affirmés de l’engagement de la France aux côtés des Américains dans la Guerre du Golfe, ce qui le conduit à une rupture orageuse et définitive dès cette époque, avec Jean-Pierre Chevènement. Alors même que, dans le même temps, Marielle mettait toute son énergie militante dans le MDC, ce mouvement politique en totale symbiose avec « le Che » dans sa vision géopolitique, économique et sociale. Quelle évolution paradoxale!
Mais considérons la démarche de Marielle dans toute son authenticité quand elle ne demandait rien, même pas à figurer à nouveau comme candidate au terme de son mandat parlementaire. Avec sans aucun doute, en arrière pensée, cette attente de Max, d’une meilleure disponibilité de son épouse dans la tragique évolution de sa maladie.
Voici des éléments posés par delà les matériaux du roman, pour aider à la compréhension d’un parcours qui s’émancipe des pesanteurs politiques, affichant une réelle autonomie de pensée et d’action avec néanmoins tous les risques de dérive que nous n’avons cessé de dénoncer sur ce blog dans la conduite de la politique de Nicolas Sarkosy. Après cet éclairage politique en écriture off, je vous invite à poursuivre cette exploration du roman de Marielle dans une vision plus circonscrite au sujet du récit d’un couple en butte à la maladie du conjoint.
Xavier Dumoulin, le 4 août 2017
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Je reprends ce matin « Bella Ciao » pour parcourir quelques pages oubliées et revenir sur le récit poignant de ce roman d’amour. Je relis, avec un bel amusement, ces scènes de jalousie de Max qui, en temps ordinaires, se montrait fidèle mais néanmoins séducteur, à la limite de l’incartade, quand il ne supportait pas d’un étranger le moindre signe de séduction envers son épouse. Marielle se lâche dans la narration d’une série de réactions machistes et brutales de son mari – autant de signes de cette « Italité » – vis à vis de ces manifestations masculines à son égard. L’épisode du comédien venant solliciter l’autorisation de s’asseoir à la table voisine du restaurant, après un échange de regards avec Marielle qui reconnaissait la petite célébrité inconnue de Max, est à tomber de rire. Max veut tout bonnement casser la gueule au prétendant dont il juge la posture déplacée quand il ne s’agit sans doute que d’une façon d’être courtoise! L’épisode du bouquet de fleur en fait voir de toutes les couleurs à Marielle qui rend, à son insu, son époux d’une jalousie maladive vis à vis de cet artisan qui a voulu honorer sa cliente, les travaux réalisés, avec un joli bouquet… Ce qui inspira Max par la suite en ne perdant plus une occasion d’envoyer à sa belle de beaux bouquets.
Mais l’ambivalence de Max et ses coups de foudre sans lendemain ont à leur tour mis Marielle dans des états extrêmes. Ces vacances à Belle Ile en Mer, avec les Chevènement, s’annonçaient pourtant sous les meilleurs augures avant cette rencontre avec la réalisatrice de cinéma d’un couple présenté par leurs amis. Max n’a d’yeux que pour elle et cette passion naissante irrite au plus haut niveau Marielle. Il ne se passe rien durant le séjour gâché par cette intrusion mais quelques mois plus tard, Max revient à la charge en confiant à son épouse son projet de dîner en face à face avec la réalisatrice qui l’aurait sollicité pour une critique historique de son projet de film. La violente réaction de Marielle finit pas faire capoter la rencontre! Une relation sans suite et totalement platonique qui nous fait découvrir toute l’ambivalence des êtres, Max concluant cet épisode par une frénésie d’amour physique et sentimentale à l’égard de Marielle dans une relation partagée. Ainsi va la vie des amants fidèles perturbés par une passion éphémère qui contribue, malgré elle, à ranimer au plus haut stade de l’extase les feux de l’amour avec « la femme ou l’homme de sa vie »…
Cette écriture primesautière pour raconter les écarts d’humeurs charrie un humour et une autodérision communicatifs. Le tact et la poésie transforment les aspects les plus matériels en récit littéraire. Les témoignages allient grandeur d’esprit, lucidité, esthétisme et délicatesse dans cette geste familiale qui intègre le legs des générations passées et excitent nos réflexions sur l’existence et notre rapport aux Autres. Le roman agit un peu comme un miroir, voire un catalyseur, dépassant les éléments factuels du récit du couple Gallo pour nous transporter dans une évasion métaphysique et philosophique comme une invitation aux méditations sur la nature humaine dans chacun des domaines explorés. L’amour, la famille la fidélité, l’amitié, l’animalité qui est en nous, la passion, la jalousie, la politique, l’art et la culture, l’histoire, la maladie et la fragilité humaine… Autant de dimensions de la vie humaine auxquelles nous sommes confrontés et sur lesquelles nos expériences favorisent une mutation dans nos façons d’être, de penser et d’agir.
Cet apprentissage de la sagesse ne serait-il pas la clé du roman? Dans les dernières pages Marielle se projette dans une perspective de vie solitaire envisageant une hypothèse qu’elle ne retient pourtant pas : celle de la mort de Max. Tous ces mots choisis avec bonheur pour raconter la singularité d’une relation contrariée par la maladie mais surmontée par l’intelligence des sentiments nous projette dans cet univers d’intimité sans dérapage vers un voyeurisme trivial.
Tout est élévation d’esprit et victoire sur la décrépitude, mais avec un souci de lucidité et d’authenticité, dans le récit de ces vies croisées. Jusque dans ce désir exprimé de refuge à « La Romaine », ce lieu idéalisé qui inspira Max dans son autobiographie « L’oubli est la ruse du diable », autobiographie qui contient ces mots auquels Marielle voudrait bien croire en les faisant revivre : je lui aurais « enseigné une autre manière de vivre avec les autres…pour sortir de la forteresse des mots ». Une réponse peut être aux propos préliminaires d’une Marielle qui ne cesse de s’interroger en ces termes : « Écrire m’apparaît comme le seul moyen de résister, résister à ma manière, non pas à l’invasion des Allemands, mais à la maladie de l’homme que j’aime, un homme qui n’est plus celui que j’ai aimé. Moi non plus, je ne suis plus celle qu’il a aimée. J’ai pris conscience, il y a bien longtemps, qu’il existait plusieurs versions de soi-même. J’ai même deviné qu’elles pouvaient être concomitantes. Ensuite j’ai découvert la réalité quantique. Ce fut pour moi à la fois une révélation et la confirmation de ce que je pressentais : l’écoulement d’un temps unique n’est qu’une illusion. Il y aurait plutôt une multiplicité de temps individuels, superposés mais discordants. »
Xavier Dumoulin, le 5 août 2017
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« L’appartement de la place du Panthéon ressemble d’abord à une bibliothèque. Les murs de toutes les pièces aussi bien que ceux des couloirs sont couverts de rayonnages chargés de livres. Le bureau de Max n’est pas très grand, la table de travail en occupe presque la totalité de l’espace. Tout autour, s’empilent encore des livres, des dossiers, des boîtes, dans un désordre qui a dû être savant, mais qui est désormais rédhibitoire. Quand Max occupait cet appartement avec sa précédente épouse, il dormait dans ce bureau sur un petit divan calé contre le mur. Je crois qu’il n’a jamais été un adepte du lit conjugal, sans doute parce que durant toute sa vie il s’est levé vers trois heures du matin pour travailler. Aujourd’hui, l’accès à sa machine à écrire est devenu un parcours d’obstacles. Il refuse qu’on retire les tapis ou qu’on bouge quoi que ce soit. Il arrive qu’il glisse, qu’il tombe. Avec la raideur des jambes que provoque la maladie, il ne peut plus se relever seul.
Le bureau ouvre sur le salon, dont les murs sont bien entendu tapissés de livres, meublé de fauteuils et d’un canapé de cuir noir que j’ai toujours connu défoncé et donc impraticable. Maintenant il y trône la pendule géante que j’ai offerte à Max quand j’ai compris qu’il était définitivement fâché avec l’heure. Bien sûr par la fenêtre on voit le clocher et l’horloge de Saint-Etienne-du-Mont, mais la proximité de la pendule l’aide à se convaincre qu’il est seulement cette heure-là. Il est vrai que son rapport au temps a toujours été anxiogène. Pour Max désormais, le temps ne passe pas assez vite, la matinée est longue jusqu’à midi, heure du déjeuner, l’après-midi s’éternise jusqu’à l’heure du dîner qu’on lui sert pourtant à dix-sept heures. Au milieu de la pièce, une table basse carrée en marbre beige avec des bibelots et une collection de coqs achetés un peu partout, non seulement pour rendre hommage au symbole national de la France mais aussi à notre patronyme.
La chambre de Julien, son fils, donne également sur la place du Panthéon. Il n’y vit plus mais ne l’a jamais vraiment quittée et vient régulièrement y travailler. Son père voue à cet enfant un véritable culte et semble ignorer qu’il s’agit d’un adulte trentenaire. Depuis que Max est malade, Julien lui consacre du temps, sa présence dans la maison, sa compagnie quand il est disponible, réconfortent son père. Nous essayons de nous relayer auprès de lui, lui qui a si longtemps préservé sa tranquillité pour écrire, désormais il ne supporte plus de rester seul. Il a peur. Une crise de panique peut l’assaillir à tout moment à la moindre contrariété, ne serait-ce qu’un robinet qui goutte. Je l’ai toujours connu anxieux, mais pas au point de se faire un souci excessif et obsessionnel à propos des aléas de la vie quotidienne.
Max dort dans la chambre au fond du couloir, dont je n’ai pas modifié le dépouillement monacal à l’époque où je la partageais avec lui une ou deux nuits par semaine, quand nos enfants étaient chez nos ex-conjoints. Nous avons acheté un lit immense, c’est tout ce qu’il reste de mon passage. Il n’y a aucune place pour moi dans cet appartement, pas même un petit coin où je pourrais me nicher et laisser quelques effets personnels. Ce n’est pas chez moi. »